n troupeau large et tumultueux, S'ecrasant, se heurtant comme un choc de montagnes. Et lorsque les terreaux et les bois se taisaient, Eux s'attaquaient l'un l'autre, et craquaient et grincaient Et d'un bruit de tonnerre ebranlaient les campagnes. Aux Flamandes d'autrefois Au grand soleil d'ete qui fait les orges mures, Et qui bronze vos chairs pesantes de sante, Flamandes, montrez-nous votre lourde beaute Debordante de force et chargeant vos ceintures. Sur des tas de foin sec et fauche, couchez-vous! Vos torses sont puissants, vos seins rouges de seve, Vos cheveux sont lisses comme un sable de greve, Et nos bras amoureux enlacent vos genoux. Laissez-vous adorer, au grand air, dans les plaines, Lorsque les vents chauffes tombent du ciel en feu, Qu'immobiles d'orgueil, au bord de l'etang bleu, Dans les midis vibrants et roux, tronent les chenes. Au temps ou les taureaux fougueux sentent venir L'acces du rut, la fievre affolante, hagarde; Lorsque, dans les vergers des fermes, on regarde Les jeunes etalons, le cou tendu, hennir; Lorsque l'immense amour dans les coeurs se decharge Lorsqu'ils s'enflent, au souffle intense de la chair, Comme s'ouvre la voile aux rages de la mer, Aux assauts redoubles d'un vent qui vient du large; Telles, avec vos corps d'un eclat eternel, Vos beaux yeux semes d'or, votre gorge fleurie, Nous vous magnifions, femmes de la patrie, Qui concentrez en vous notre Ideal charnel. Les Moines Les Moines Je vous invoque ici, Moines apostoliques, Encensoirs d'or, drapeaux de foi, trepieds de feu; Astres versant le jour aux siecles catholiques; Constructeurs eblouis de la maison de Dieu; Solitaires assis sur les montagnes blanches; Marbres de volonte, de force et de courroux; Precheurs tenant leves vos bras a longues manches Sur les remords ployes des peuples a genoux; Vitraux avives d'aube et de matin candides; Vases de chastete ne tarissant jamais; Miroirs reverberant comme des lacs lucides, Des rives de douceur et des vallons de paix. Voyants dont l'ame etait la mystique habitante, Longtemps avant la mort, d'un monde extra-humain; Torses incendies de ferveur haletante; Rocs barbares debout sur le monde romain; Arches dont le haut cintre arquait sa vastitude, Avec de lourds piliers d'argent comme soutiens, Du cote de l'aurore et de la solitude, D'ou sont venus vers nous les grands fleuves chretiens; Clairons sonnant le Christ a belles claironnees, Tocsins battant l'alarme a mornes glas tombants, Tours de soleil de loin en loin illuminees, Qui poussez dans le ciel vos crucifix flambants. Moine epique On eut dit qu'il sortait d'un desert de sommeil, Ou, face a face, avec les gloires du soleil, Sur les pitons brules et les rochers austeres, S'endort la majeste des lions solitaires. Ce moine etait geant, sauvage et solennel, Son corps semblait bati pour un oeuvre eternel, Son visage, plante de poils et de cheveux, Dardait tout l'infini par les trous de ses yeux; Quatre-vingts ans chargeaient ses epaules tannees Et son pas sonnait ferme a travers les annees; Son dos monumental se carrait dans son froc, Avec les angles lourds et farouches d'un roc; Ses pieds semblaient broyer des choses abattues Et ses mains ebranler des socles de statues, Comme si le Christ-Dieu l'eut forge tout en fer, Pour ecraser sous lui les rages de l'enfer. * C'etait un homme epris des epoques d'epee, Ou l'on jetait sa vie aux vers de l'epopee, Qui dans ce siecle flasque et dans ce temps batard, Apotre epouvantant et noir, venait trop tard, Qui n'avait pu, selon l'abaissement, decroitre, Et meme etait trop grand pour tenir dans un cloitre, Et se noyer le coeur dans le marais d'ennui Et la banalite des regles d'aujourd'hui. * Il lui fallait le feu des grands sites sauvages, Les rocs violentes par de sombres ravages, Le ciel torride et le desert et l'air des monts, Et les tentations en rut des vieux demons Agacant de leurs doigts la chair en fleur des gouges Et lui brulant la levre avec des grands seins rouges, Et lui bouchant les yeux avec des corps vermeils, Comme les eaux des lacs avec l'or des soleils. * On se l'imaginait, au fond des solitudes, Marmorise dans la raideur des attitudes, L'esprit durci, le coeur bleme de chastete, Et seul, et seul toujours avec l'immensite. On le voyait marcher au long des mers sonnantes, Au long des bois reveurs et des mares stagnantes, Avec des gestes fous de voyant surhumain, Et s'en venir ainsi vers le monde romain, N'ayant rien qu'une croix taillee au coeur des chenes, Mais la bouche clamant les ruines prochaines, Mais fixes les regards, mais enormes les yeux, Barbare illumine qui vient tuer les dieux. Moine simple Ce convers recueilli sous la soutane bise Cachait l'amour naif d'un saint Francois d'Assise. Tendre, devotieux, doux, fraternel, fervent, Il etait jardinier des fleurs dans le couvent. Il les aimait, le simple, avec toute son ame, Et ses doigts s'attardaient a leurs feuilles de flamme. Elles lui parfumaient la vie et le sommeil, Et pour elles il aimait l'ombre et le soleil Et le firmament pur et les nuits diaphanes, Ou les etoiles d'or suspendent leurs lianes. Tout enfant, il pleurait aux legendes d'antan, Ou sont tues des lys, sous les pieds de Satan, Ou dans un infini vague, fait d'apparences, Passent des seraphins parmi des transparences; Ou les vierges s'en vont par de roses chemins, Avec de grands missels et des palmes aux mains, Vers la mort accueillante et bonne et maternelle A ceux qui mettent l'or de leur espoir en elle. * Aux temps de mai; dans les matins aureoles Et l'enfance des jours vaporeux et perles, Quand la brume legere a la clarte des limbes Et que flottent au loin des ailes et des nimbes, Il etalait sa joie intime et son bonheur, A parer de ses mains l'autel, pour faire honneur A la tres douce et pure et benoite Marie, Patronne de son c?ur et de sa close rie. Il ne songeait a rien, sinon a l'adorer, A lui tendre son ame entiere a respirer, Rose blanche, si frele et si claire et si probe, Qu'elle semblait n'avoir connu du jour que l'aube, Et qu'au soir de la mort, ou sans aucun regret, Jusqu'aux jardins du ciel, elle s'envolerait Doucement, de sa vie obscure et solitaire, N'ayant rien laisse d'elle aux buissons de la terre, Le parfum, exhale dans un soupir dernier, Serait, depuis longtemps, connu du ciel entier. Rentree des moines I Le site est grave - et son eclat profond et noir De marais en marais, au loin, se reverbere; C'est l'heure ou la clarte du jour d'ombres s'obere, Ou le soleil descend les escaliers du soir. Une etoile d'argent lointainement tremblante, Lumiere d'or dont on n'apercoit le flambeau, Se reflete, mobile et fixe, au fond de l'eau Ou le courant la lave, avec une onde lente. A travers les champs verts s'en va se deroulant La route dont l'averse a creuse les ornieres; Elle longe les noirs massifs des sapinieres Et monte au carrefour couper le pave blanc. Au loin scintille encore une lucarne ronde Qui s'ouvre ainsi qu'un oeil dans un pignon ronge: La, le dernier reflet du couchant s'est plonge Comme, en un trou profond et tenebreux, la sonde. Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adieu, Rien - le site vetu d'une paix metallique Semble enfermer en lui, comme une basilique, La presence muette et nocturne de Dieu. II Alors les moines blancs rentrent aux monasteres Apres secours portes aux malades des bourgs, Aux laboureurs ployes sous le faix des labours Aux gueux chretiens qui vont mourir, aux grabataires, A ceux qui crevent seuls, mornes, sales, pouilleux, Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne Et qu'on enterrera dans un coin de campagne, Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux, Aux mendiants mordus de miseres avides, Qui, le ventre troue de faim, ne peuvent plus Se bequiller la-bas vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les etangs livides. Et tels les moines blancs traversent les champs noirs, Faisant songer au temps des jeunesses bibliques Ou l'on voyait errer des geants angeliques, En longs manteaux de lin, dans l'or pali des soirs. III Brusque, resonne au loin un tintement de cloche, Qui casse du silence a coups de battant clair Et se meurt et renait, et jette a travers l'air Un long appel, qui long, parmi l'echo, ricoche. Il proclame que voici les pieux instants Ou les moines s'en vont au choeur chanter Tenebres Et promener sur leurs consciences funebres L'angoisse et la douleur de leurs yeux repentants. Et tous sont la, priant; tous ceux dont la journee S'est consumee au dur hersage, en pleins terreaux, Ceux dont l'esprit sur les textes preceptoraux, S'epand, comme un reflet de lumiere inclinee. Ceux dont la solitude apre et pale a rendu L'ame voyante et dont la chair seche et brulante Jette vers Dieu le cri de sa maigreur sanglante, Ceux dont les tourments noirs ont fait le corps tordu. IV Et les moines qui sont rentres aux monasteres Apres visite faite aux malheureux des bourgs, Aux laboureurs ployes sous le poids des labours, Aux gueux chretiens qui vont mourir, aux grabataires, Un a un, devant tous, disent, a lente voix, Qu'au-dehors, quelque part, dans un coin de bruyere, Il est un moribond qui s'en va sans priere Et qu'il faut supplier, au choeur, le Christ en croix, Pour qu'il soit pitoyable aux mendiants avides Qui, le ventre troue de faim ne peuvent plus Se bequiller au loin vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les etangs livides. Et tous alors, tous les moines, tres lentement, Envoient vers Dieu le chant des lentes litanies; Et les anges qui sont gardiens des agonies Ferment les yeux - des morts, silencieusement. Moine sauvage On trouve encor de grands moines que l'on croirait Sortis de la nocturne horreur d'une foret. Ils vivent ignores en de vieux monasteres, Au fond d'un cloitre, ainsi que des marbres austeres, Et l'epouvantement des grands bois resineux Roule, avec sa tempete et sa terreur, en eux. Leur barbe flotte au vent comme un taillis de verne Et leur oeil est luisant comme une eau de caverne, Et leur grand corps drape des longs plis de leur froc Semble surgir, debout, dans les parois d'un roc. Eux seuls, parmi ces temps de grandeur outragee, Ont maintenu debout leur ame ensauvagee; Leur esprit, herisse comme un buisson de fer, N'a jamais remue qu'a la peur de l'enfer; Ils n'ont jamais compris qu'un Dieu porteur de foudre Et cassant l'univers que rien ne peut absoudre, Et de vieux Christs hagards, horribles, ecumants, Tels que les ont grandis les peintres allemands, Avec la tete en sang et les mains large ouvertes Et les deux pieds crispes autour de leurs croix vertes; Et les saints a genoux dans un feu de tourment, Qui leur brulait les os et les chairs, lentement; Et les vierges, dans les cirques et les batailles, Donnant aux lions roux a lecher leurs entrailles; Et les penitents noirs qui, les yeux sur le pain, Se laissaient, dans leur nuit rouge, mourir de faim. Et tels s'useront-ils en de vieux monasteres, Au fond du cloitre, ainsi que des marbres austeres. Aux moines Et maintenant, pieux et monacaux ascetes, Qu'ont revetus mes vers de longs et blancs tissus, Hommes des jours lointains et morts, hommes vaincus Mais neanmoins debout encor, hommes poetes Qui ne souffrez plus rien de nos douleurs a nous, Rien de notre orgueil roux, rien de notre paix noire, Qui rivez vos regards sur votre Christ d'ivoire, Tel que vous devant lui, l'ame en flamme, a genoux, Le front pali du reve ou mon esprit s'obstine, Je vivrai seul aussi, tout seul, avec mon art; Et le serrant en mains, ainsi qu'un etendard, Je me l'imprimerai si fort sur la poitrine, Qu'au travers de ma chair il marquera mon c?ur. Car il ne reste que l'art sur cette terre Pour tenter un cerveau puissant et solitaire Et le griser de rouge et tonique liqueur. Quand tout s'ebranle ou meurt, l'Art est la qui se plante Nocturnement bati comme un monument d'or, Et chaque soir que dans la paix le jour s'endort, Sa muraille en miroir grandit etincelante Et d'un reflet rejette au ciel le firmament. Les poetes, venus trop tard pour etre pretres, Marchent vers les lueurs qui tombent des fenetres Et reluisent, ainsi que des plaques d'aimant. Le dome ascend si haut que son faite est occulte, Les colonnes en sont d'argent et le portail Sur la mer rayonnante ouvre au loin son vantail Et le plain-chant des flots se mele aux voix du culte. Le vent qui passe et qui s'en vient de l'infini Effleure avec des chants mysterieux et freles Les tours, les grandes tours, qui se toisent entre elles Comme des geants noirs de force et de granit, Et quiconque franchit le silence des porches N'apercoit rien, sinon au fond, a l'autre bout, Une lyre d'airain qui l'attend la, debout, Immobile, parmi la majeste des torches. Et ce temple toujours pour nous subsistera Et longtemps et toujours luira dans nos tenebres, Quand vous, les moines blancs, les ascetes funebres Aurez disparu tous en lugubre apparat, Dans votre froc de lin ou votre aube mystique, Au pas religieux d'un long cortege errant, Comme si vous portiez a votre Dieu mourant, Au fond du monde athee, un dernier viatique. Les Bords de la route En decembre Sous le pale et rugueux brouillard d'un ciel d'hiver Le froid gerce le sol des plaines assoupies; La neige adhere encor aux flancs d'un talus vert Et par le vide entier grincent des vols de pies. Avec leurs fins rameaux en serres de harpies, De noirs taillis mechants s'acharnent a griffer; Des feuillages pourris s'effilent en charpies; On s'imagine entendre au loin casser du fer. Oh! l'infini du morne hiver! il incarcere Notre ame en un etau geant qui se resserre, Tandis qu'avec un dur et sec et faux accord Une cloche de bourg voisin dit sa complainte, Martele obstinement l'apre silence - et tinte Que dans le soir, la-bas, on met en terre un mort. Vaguement Voir une fleur la-bas, fragile et nonchalante, En cadence dormir au bout d'un rameau clair, En cadence, le soir, fragile et nonchalante, Dormir; - et tout a coup voir luire au clair de l'air, Luire, comme une pierre, un insecte qui danse Ou bien s'immobilise au bout d'un rayon d'or; - Et voir au bord des quais un navire en partance Et qui s'attarde et qui hesite en son essor, Tandis que ses marins de Flandre ou d'Aquitaine Tous ensemble precipitent et les departs Et les adieux; et puis, a ces choses prochaines, A ces choses du soir confier les hasards: Craindre si la fleur tombe ou si l'insecte passe Ou si le clair navire erige et tend ses mats Vers la tempete et vers l'ecume et vers l'espace Et s'il part dans la houle enorme, au son des glas... Ton souvenir! - et le meler a ces presages, A ce navire, a cet insecte, a cette fleur, Ton souvenir qui plane, ainsi que des nuages, Au couchant d'ombre et d'or de ma douleur. Cantique I Je voudrais posseder pour dire tes splendeurs, Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables, Ou les poumons geants des vents intarissables; Je voudrais dominer les lourds echos grondeurs Qui jettent dans la nuit des paroles etranges, Pour les faire crier et clamer tes louanges; Je voudrais que la mer tout entiere chantat, Et comme un poids le monde elevat sa maree, Pour te dire superbe et te dresser sacree; Je voudrais que ton nom dans le ciel eclatat Comme un feu voyageur et roulat, d'astre en astre, Avec des bruits d'orage et des heurts de desastre. II Les pieds ongles de bronze et les yeux large-ouverts, Comme de grands lezards buvant l'or des lumieres, Se trainent vers ton corps mes desirs longs et verts. En plein midi torride, aux heures coutumieres, Je t'ai couchee au bord d'un champ, dans le soleil; La-bas, frissonne un coin embrase du meteil, L'air tient sur nos amours de la chaleur pendue, L'Escaut s'enfonce au loin comme un chemin d'argent, Et le ciel lame d'or allonge l'etendue, Et tu t'etends lascive et geante, insurgeant Comme de grands lezards buvant l'or des lumieres Mes desirs revenus vers leurs ardeurs premieres. Artevelde La mort grande, du fond des sonnantes armoires De l'orgue, erige en chant de gloire, immensement, Vers les voutes, le nom du vieux Ruwaert flamand Dont chaque anniversaire exalte les memoires. Parmi les foulons morts, parmi les incendies, Les carnages, les revoltes, les desespoirs, Le peuple a ramasse sa legende, les soirs A la veillee, et la celebre en recordies. Les rois, il les prostrait devant son attitude, Imperieux, ayant derriere lui, la-bas, Et le peuple des coeurs et le peuple des bras, Tendus! Il etait fort comme une multitude. Et son ame voyait son ame et ses pensees Survivre et s'allumer par au-dela son temps, Torche premiere! et vers les avenirs flottants Tordre tragiquement ses flammes convulsees. Il se sentait miraculeux. Toute sa tete S'imposait a l'obstacle. Il le cassa sous lui, Jusqu'au jour ou la mort enlinceula de nuit Son front silencieux de force et de tempete. Un soir, il disparut tue comme un roi rouge. En pleine ville ardente et revoltee, un soir. Les Horloges La nuit, dans le silence en noir de nos demeures, Bequilles et batons qui se cognent, la-bas, Montant et devalant les escaliers des heures, Les horloges, avec leurs pas; Emaux naifs derriere un verre, emblemes Et fleurs d'antan, chiffres maigres et vieux; Lunes des corridors vides et blemes, Les horloges, avec leurs yeux; Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes, Boutique en bois de mots sournois Et le babil des secondes minimes, Les horloges, avec leurs voix; Gaines de chene et bornes d'ombre, Cercueils scelles dans le mur froid, Vieux os du temps que grignote le nombre, Les horloges et leur effroi; Les horloges Volontaires et vigilantes, Pareilles aux vieilles servantes Tapant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas, Les horloges que j'interroge Serrent ma peur en leur compas. Parabole Parmi l'etang d'or sombre Et les nenuphars blancs, Un vol passant de herons lents Laisse tomber des ombres. Elles s'ouvrent et se ferment sur l'eau Toutes grandes, comme des mantes; Et le passage des oiseaux la-haut, S'indefinise, ailes ramantes. Un pecheur grave et theorique Tend vers elles son filet clair, Ne voyant pas qu'elles battent dans l'air Les larges ailes chimeriques, Ni que ce qu'il guette, le jour, la nuit, Pour le serrer en des mailles d'ennui, En bas, dans les vases, au fond d'un trou, Basse dans la lumiere, insaisissable et fou. Sais-je ou? C'est quelque part en des pays du Nord - que sais-je? C'est quelque part, en Norvege, la-bas Ou les blancs ongles de la neige Griffent des rocs, de haut en bas. Oh! ce grand gel - reflete brusquement En des marais d'argent dormant; Et ce givre qui grince et pince Les lancettes d'un taillis mince. Et ce minuit ainsi qu'un grand bloc blanc, Sur les marais d'argent dormant, Et ce minuit qui pince et grince Et, comme une grande main, rince Les cristaux froids du firmament. Dites, l'entendez-vous la grand'messe du froid? L'entendez-vous sonner, sonner la-bas, En ces lointains de neige et de frimas Ou les arbres vont en cortege... C'est quelque part en un tres vieux pays du Nord,- que sais-je? Mais c'est aussi dans un vieux c?ur du Nord - en moi. L'Heure mauvaise Depuis ces temps troubles d'adieux et de retours Mes jours toujours plus lourds s'en vont roulant leur cours. J'avais foi dans ma tete; elle etait ma hantise. Et mon entetement - haine et fureur - vermeil Ou s'allumait l'interieur soleil, Foncait jadis contre le roc de la betise. De vivre ainsi hautainement, j'avais Muette joie a me sentir et seul et triste, Et je ne croyais plus qu'a ma force d'artiste Et qu'a l'oeuvre que je revais: Celle qui se levait tranquille et douce et bonne Et s'en allait par de simples chemins, Vers les foyers humains, Ou l'on pardonne. Ah! comme il fut dolent ce soir d'opacite, Quand mon ame minee infiniment de doutes, S'ecroula toute Et lezarda, craquement noir, ma volonte. A tout jamais mortes, mes fermetes brandies! Mes poings? flasques; mes yeux? fanes; mes orgueils? serfs; Mon sang coulait, peniblement, jusqu'a mes nerfs; Et comme des sucoirs gluaient mes maladies. Et maintenant que je m'en vais vers le hasard... Dites le voeu qu'en un lointain de sepulture Comme un marbre brule de gloire et de torture Rouge eternellement se crispera mon art! Novembre Feuilles couleur de lie et de douleur, Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe; Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs, Comme il en tombe sur mon c?ur! Avec des loques de nuages, Sur son pauvre?il d'aveugle S'est enfonce, dans l'ouragan qui meugle, Le vieux soleil aveugle. - Il fait novembre en mon ame - Quelques osiers en des mares de limon gris Et des cormorans d'encre en du brouillard, Et puis leur cri qui s'entete, leur morne cri Monotone, vers l'infini. - Il fait novembre en mon ame - ï ces feuilles qui tombent Et tombent; Et cette pluie a l'infini Et puis ce cri, ce cri Toujours le meme, dans mon ame! Les Soirs Humanite Les soirs crucifies sur l'horizon, les soirs Saignent, dans les marais, leurs douleurs et leurs plaies, Dans les marais, ainsi que de rouges miroirs, Places pour refleter le martyre des soirs, Des soirs crucifies sur l'horizon, les soirs! Vous les Jesus, pasteurs qui venez par les plaines Chercher les troupeaux clairs pour vos clairs abreuvoirs, Voici monter la mort dans les adieux des soirs, Jesus, voici saigner les toisons et les laines Et voici Golgotha surgir, sous les cieux noirs. Les soirs crucifies sur les Golgothas noirs, Ne sont plus que douleurs et que pleurs et que plaies. Helas! le temps est loin des tranquilles espoirs. Et les voici saignants dans les clairs abreuvoirs, Les soirs, les mornes soirs sur les Golgothas noirs! Sous les porches L'ombre s'affermissait sur les plaines captives Et barrait de ses murs les horizons d'hiver; Comme en un tombeau noir, de vieux astres de fer Brulaient, trouant le ciel de leurs flammes votives. On se sentait serre dans un monde d'airain, Ou quelque part, au loin, se dresseraient des pierres Mornes et qui seraient les idoles guerrieres D'un peuple encor enfant, terrible et souterrain. Un air glace mordait les tours et les demeures Et le silence entier serrait comme un effroi; Et nul cri voyageur, au loin. Seul un beffroi, Immensement vetu de nuit, cassait les heures. On entendait les lourds et tragiques marteaux Heurter, comme des blocs, les bourdons taciturnes; Et les coups s'abattaient, les douze coups nocturnes, Avec l'eternite, sur nos cerveaux. Le Gel Ce soir, un grand ciel clair, surnaturel, abstrait, Froid d'etoiles, infiniment inaccessible A la priere humaine, un grand ciel apparait. Il fige en son miroir l'eternite visible. Le gel etreint tout l'horizon d'argent et d'or, Le gel etreint les vents, la greve et le silence Et les plaines et les plaines; et le gel mord Les lointains bleus, ou les beffrois pointent leur lance. Silencieux, les bois, la mer et ce grand ciel. Oh sa lueur immobile et dardante! Et rien qui remuera cet ordre essentiel Et ce regne de neige acerbe et corrodante. Immutabilite totale. On sent du fer Et de l'acier serrer son coeur morne et candide; Et la crainte saisit d'un immortel hiver Et d'un grand Dieu soudain, glacial et splendide. Les Chaumes A cropetons, ainsi que les pauvres Maries Des legendes de l'autrefois, Par villages, sous les cieux froids, Sont assises les metairies: - Chaumes teigneux, pignons creves, carreaux fendus, Fournils eteints et lamentables - Le vent souffle sur les etables, Du bout des carrefours perdus. A cropetons, ainsi que les vieilles dolentes, Avec leurs cannes aux mentons, Et leurs gestes, comme a tatons, Elles tremblent toutes branlantes, Derriere un rang gele d'ormes et de bouleaux, Dont les livides feuilles mortes Jonchent le seuil desert des portes Et s'ourlent comme des copeaux. A cropetons, ainsi que les meres meurtries Par les douleurs de l'autrefois, Aux flancs bossus des talus froids, Et des sentes endolories, Pendant les heures d'ombre et d'envoutement noir Et les novembrales semaines, ï ces fermes au fond des plaines Et leur detresse au fond du soir! Londres Et ce Londres de fonte et de bronze, mon ame, Ou des plaques de fer claquent sous des hangars, Ou des voiles s'en vont, sans Notre-Dame Pour etoile, s'en vont, la-bas, vers les hasards. Gares de suie et de fumee, ou du gaz pleure De sinistres lueurs au long de murs en fer, Ou des betes d'ennui baillent a l'heure Dolente immensement, qui tinte a Westminster. Et debout sur les quais ces lanternes fatales, Parques dont les fuseaux plongent aux profondeurs; Et ces marins noyes, sous les petales Des fleurs de boue ou la flamme met des lueurs. Et ces marches et ces gestes de femmes soules; Et ces alcools de lettres d'or jusques aux toits; Et tout a coup la mort, parmi ces foules; ï mon ame du soir, ce Londres noir qui traine en toi! Au loin Ancres abandonnees sous des hangars maussades, Porches de suie et d'ombre ou s'engouffrent des voix, Pignons crasseux, greniers obscurs, mornes facades Et gouttieres regulieres, au long des toits; Et blocs de fonte et crocs d'acier et cols de grues Et puis, au bas des murs, dans les eaves, l'echo Du pas des chevaux las sur le pave des rues Et des rames en cadence battant les flots; Et le vaisseau plaintif, qui dort et se corrode Dans les havres et souffre; et les appels hagards Des sirenes et le mysterieux exode Des navires silencieux, vers les hasards Des caps et de la mer affolee en tempetes; ï mon ame, quel s'en aller et quel souffrir! Et quel vivre toujours, pour les rouges conquetes De l'or; quel vivre et quel souffrir et quel mourir! Pourtant regarde au loin s'illuminer les iles, Fais ton reve d'encens, de myrrhe et de corail, Fais ton reve de fleurs et de roses asiles, Fais ton reve evente par le large eventail De la brise oceane, au clair des etendues; Et songe aux Orients et songe a Benares, Songe a Thebes, songe aux Babylones perdues, Songe aux siecles tombes des Sphinx et des Hermes; Songe a ces Dieux d'airain debout au seuil des porches, A ces colosses bleus broyant des leopards Entre leurs bras, a ces processions de torches Et de pretres, par les forets et les remparts, La nuit, sous l'oeil darde des etoiles australes; ï mon ame qu'hallucinent tous les lointains! Songe aux golfes, songe aux deserts, songe aux lustrales Caravanes, en galop blanc dans les matins; Songe qu'il est peut-etre encor, par la Chaldee, Quelques patres pleins de mystere et d'infini, Dont la bouche jamais n'a pu crier l'idee; Et va, par ces chemins de fleurs et de granit, Et va, si loin et si profond dans ta memoire, Que l'heure et le moment s'abolissent pour toi. Impossible! - voici la boue et puis la noire Fumee et les tunnels et le morne beffroi Battant son glas dans la brume et qui ressasse Toute ma peine tue et toute ma douleur, Et je reste, les pieds colles a cette crasse, Dont les odeurs montent et puent jusqu'a mon coeur. Infiniment Les chiens du desespoir, les chiens du vent d'automne Mordent de leurs abois les echos noirs des soirs, Et l'ombre, immensement, dans le vide, tatonne Vers la lune, miree au clair des abreuvoirs. De point en point, la-bas, des lumieres lointaines Et dans le ciel, la-haut, de formidables voix Allant de l'infini des marais et des plaines Jusques a l'infini des vallons et des bois. Et des routes qui s'etendent comme des voiles Et se croisent et se deplient au loin, sans bruit, Et continuent a s'allonger sous les etoiles A travers la tenebre et l'effroi de la nuit. Les Debacles Dialogue ...Sois ton bourreau toi-meme; N'abandonne le soin de te martyriser A personne, jamais. Donne ton seul baiser Au desespoir; dechaine en toi l'apre blaspheme; Force ton ame, ereinte-la contre l'ecueil: Les maux du coeur qu'on exaspere, on les commande; La vie, helas! ne se corrige ou ne s'amende Que si la volonte la terrasse d'orgueil. Sa norme est la douleur. Helas! qui s'y resigne? - Certes, je veux exacerber les maux en moi. Comme jadis les grands chretiens, mordus de foi, Se torturaient avec une ferveur maligne, Je veux boire les souffrances, comme un poison Vivant et fou; je cinglerai de mon angoisse Mes pauvres jours, ainsi qu'un tocsin de paroisse S'exalte a disperser le deuil sur l'horizon. Cet heroisme intime et bizarre m'attire: Se preparer sa peine et provoquer son mal, Avec acharnement, et dompter l'animal De misere et de peur, qui dans le coeur se mire Toujours; se redresser cruel, mais contre soi, Vainqueur de quelque chose enfin, et moins languide Et moins banalement en extase du vide. - Sois ton pouvoir, sois ton tourment, sois ton effroi. Et puis, il est des champs d'hostilites tentantes Que des hommes de marbre, avec de fortes mains, Ont cultives; il est de terribles chemins, Ou leurs cris violents et leurs marches battantes Sont entendus: c'est la, que sur tel roc vermeil, Le soir allume, au loin, le sang et les tueries Et que luisent, parmi des lianes fletries, De scintillants couteaux de crime et de soleil! Le Glaive Quelqu'un m'avait predit, qui tenait une epee Et qui riait de mon orgueil sterilise: Tu seras nul, et pour ton ame inoccupee L'avenir ne sera qu'un regret du passe. Ton corps, ou s'est aigri le sang de purs ancetres, Fragile et lourd, se cassera dans chaque effort; Tu seras le fievreux, ploye sur les fenetres D'ou l'on peut voir bondir la vie et ses chars d'or. Tes nerfs t'enlaceront de leurs fibres sans seves, Tes nerfs! - et tes ongles s'amolliront d'ennui, Ton front comme un tombeau dominera tes reves, Et sera ta frayeur, en des miroirs, la nuit. Te fuir! - si tu pouvais! mais non, la lassitude Des autres et de toi t'aura charge le dos Si bien, t'aura ploye si fort, que l'hebetude Avilira la tete et videra tes os. Tu t'en iras sans force et seul parmi ces terres Ou s'exaltent les coeurs vers leur rayonnement; Tes yeux seront sans flamme et les joyeux tonnerres Chargeront loin de toi, victorieusement. Si morne! Se replier toujours sur soi-meme, si morne! Comme un drap lourd, qu'aucun dessin de fleur n'adorne. Se replier, s'appesantir et se tasser Et se toujours, en angles noirs et mats, casser. Si morne! et se toujours interdire