Les deux portiers saint Pierre et Thot ont l'air content. Tous les schismes sont loin. Seule survit l'idee. Les Dieux sont assez vieux pour ne faire plus qu'un Et recueillir pour soi, dans tous et dans chacun, La multiple lueur de prieres dardees. Les sophistes sacres marquent d'un scel pieux - Serpent, lotus ou croix - la science du monde, Et baptisent l'envol des forces errabondes Qui passent au-dela des hommes et des dieux. Sur l'arbre du mystere, ils greffent le prodige; Le miracle incessant tient la place des lois, Leur passion du ciel prend en croupe la foi Et l'eleve, de roc en roc, jusqu'au vertige. Il n'est plus rien de vrai, puisque tout est divin. L'esprit doit abdiquer l'orgueil qui le fait vivre Pour lui-meme, par la pensee et par le livre; On empoisonne l'inconnu dont il a faim. Voici la paix de la banale certitude; Hommes, pourquoi chercher? Vous avez le repos, Il coule en vous, mais c'est du plomb, parmi vos os, Et du bonheur, dans sa plus morne plenitude. Rien n'est plus haut, malgre l'angoisse et le tourment, Que la bataille avec l'enigme et les tenebres; Oh nos fleches d'airain trouant les soirs funebres, Vers quelque astre voile qui brule au firmament! Et qu'importent le doute ardent, l'ombre profonde, Le tumulte qui rend l'effort plus effrene; Coeur et cerveau, dans un elan simultane, Chacun a travers soi doit conquerir le monde. Dites, la proie et le butin qu'est l'univers Saignant, dans la splendeur de l'etendue entiere? Nous travaillons et nous pensons de la matiere, Et son secret vit en nous-memes, a decouvert. Nos controles le voient, s'ils ne le definissent; L'unite est en nous, et non pas dans les dieux; L'effroi si longtemps maitre a deserte les cieux Et s'est eteint dans les yeux morts des Pythonisses. L'homme respire et sur la terre il marche, seul. Il vit pour s'exalter du monde et de lui-meme; Sa langue oublie et la priere et le blaspheme; Ses pieds foulent le drap de son ancien linceul. Il est l'heureuse audace au lieu d'etre la crainte; Tout l'infini ne retentit que de ses bonds Vers l'avenir plus doux, plus clair et plus fecond Dont s'aggrave le chant et s'apaise la plainte. Penser, chercher et decouvrir sont ses exploits. Il emplit jusqu'aux bords son existence breve; Il n'enfle aucun espoir, il ne fausse aucun reve, Et s'il lui faut des Dieux encore - qu'il les soit! Les Heures ou l'on cree Encor un jour, ce jour! ou mon front fut le maitre Et l'empereur de l'univers qu'est tout mon etre! Le printemps luit de greve en greve; L'idee est fraiche, ainsi qu'une flore tremiere; L'esprit la voit grandir; on pense large et clair Comme la mer; Les problemes les plus ardus, De leurs grands monts sont descendus Et se laissent, dans l'or des plaines, Chauffer et penetrer par la recherche humaine; Tout est lueur au meme instant; Seule existe la peur de n'avoir pas le temps De dominer, soudain, ce que l'esprit decouvre. Et la vie ample et vaillante se rouvre Aux blancs galops de l'espoir d'or; On veut, et ce vouloir semble d'accord, Intimement avec le voeu du monde; L'ame sent naitre en soi la puissance profonde Qui realise et qui convainc, L'obstacle meme apparait vain: A peine un coin de pierre ou aiguiser sa force. Tous les ferments gonflent l'ecorce Du jeune et triomphal orgueil; Le bon travail s'installe au seuil De la maison ou dort la confiance; Les os, le sang, les nerfs font alliance Avec on ne sait quoi de fremissant Dans l'air et dans le vent; On s'eprouve leger et clair dans l'espace, On est heureux a crier grace, Tes faits, les principes, les lois, on comprend tout; ie coeur tremble d'amour et l'esprit semble fou De l'ivresse de ses idees. ï ces heures de fiere ardeur dardee, Heures des mais et des avrils, Qui m'amenez, chaque an, les plus rares des joies, Heures de conquete, heures de vaillance, heures de proie Comme vous exaltez mon coeur rouge et viril, Alors que je me sens dument le maitre Et l'empereur de l'univers qu'est tout mon etre! Les Bagnes Pareils a ces rayons vetus de soir et d'or Qui seuls, avant de s'endormir dans la vallee, Baisent de leur lumiere et ravivent encor Le front triste et rugueux des roches isolees, Mes vers s'en vont vers vous, Hommes de lutte et de souffrance, apres visages, Proscrits et revoltes qui maintenez Debout Malgre la croix ou le destin vous cloue Et votre foi et votre rage! ï les bagnes dresses tout au bout de la mer La-bas, ou tout est fer et plomb et roc et pierre Et brasier dans la nue et volcan sous la terre; Iles de desespoir qu'encercle le granit Et qu'isole du monde immense, l'infini; Comme du sang caille parmi les vagues Luisent vos bords et vos sables ocreux, Vos pics sont nus, comme les pointes des dagues, Vos geoliers sont des fous qui s'excitent entre eux, Vos flots roulent non de l'eau, mais des flammes, La cruaute torride et ses laches conseils, Au fer rouge de vos soleils, Brulent, sous vos cieux durs, les ames. Or, ceux que vous damnez viennent de l'Inconnu, Avec, entre leurs mains, les verites nouvelles; L'ame future, ils la forment dans leurs cervelles, Le droit serein et meconnu Semble le sang dont bouillonne leur verbe, Ils incendient, en les tassant du pied, les herbes Pleines de mort et de poison des vieilles lois; Ils sont les fous de la haute folie. La vie etant a boire, ils en jettent la lie Et la presentent pure au peuple qui la boit. Leur coeur est vaste et clair comme les plaines, Leurs yeux sont purs comme des yeux d'enfant. Quoi qu'on dise, leur force est pleine D'amour immense et debordant. S'ils haissent, ils n'ont que des haines d'idees, Leur cause est leur orgueil et le tourment De ne la point aimer, assez eperdument, Tient seul, pendant la nuit, leurs ames obsedees. La pitie, aucun d'entre eux N'en veut; Ce qu'ils veulent? c'est de dresser leur ferme exemple Devant les frontons d'or et les piliers du temple; C'est de bruler comme des torches Toutes en sang au seuil des porches Ou passeront, un jour, maitres du bien, Ceux qui veulent une equite totale, ou rien. ï leur inecrasable et rouge confiance, Leur orageux silence ou leur acharnement, Leurs cris profonds charges de conscience Oui penetrent le monde, ainsi qu'un chatiment, Vous ne les vaincrez pas, bourreaux dements et mornes, Iles, dont les pointes, commes des cornes, Se herissent vers le soleil, Bagnes batis pour la terreur et les supplices: La force humaine bondit de reveils en reveils, Elle est en proie a la justice. L'impossible Homme, si haut soit-il, ce mont inaccessible Ou ton ardeur veut s'elancer, Ne crains jamais de harasser Les chevaux d'or de l'impossible. Monte plus loin, plus haut, que ton esprit retors Voudrait d'abord, parmi les sources, A mi-cote, borner sa course; Toute la joie est dans l'essor! Qui s'arrete sur le chemin, bientot devie; C'est l'angoisse, c'est la fureur, C'est la rage contre l'erreur, C'est la fievre, qui sont la vie. Ce qui fut hier le but est l'obstacle demain; Dans les cages les mieux gardees S'entre-devorent les idees Sans que jamais meure leur faim. Changer! Monter! est la regle la plus profonde. L'immobile present n'est pas Un point d'appui pour le compas Qui mesure l'orgueil du monde. Que t'importe la sagesse d'antan qui va Distribuant, comme des palmes, Les victoires sures et calmes, Ton reve ardent vole au-dela! Il faut en tes elans te depasser sans cesse, Etre ton propre etonnement, Sans demander aux dieux comment Ton front resiste a son ivresse. Ton ame est un desir qui ne veut point finir, Et les chevaux de l'impossible, Du haut des monts inaccessibles, - Eux seuls - la jetteront dans l'avenir. L'En-avant Devant le ciel nocturne, au bord de ma fenetre, Ployant mon corps ardent sur l'espace et le bruit, J'ecoute avec ma fievre et j'absorbe, en mon etre, Les tonnerres des trains qui traversent la nuit. Ils sont un incendie en fuite dans le vide. Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts, Tintamarre si fort qu'on dirait qu'il decide Du rut d'un cratere ou des chutes d'un mont. Et leur elan encor m'ebranle et me secoue, Qu'au loin, dans la tenebre et dans la nuit du sort, Ils reveillent deja du fracas de leurs roues Le silence endormi dans les gares en or. Et mes muscles bandes ou tout se repercute Et glisse et se prolonge et sans cesse fremit Communiquent ainsi, minute par minute, Leur sourde et trepidante ardeur a mon esprit. Ils lui pretent leur force et le charment d'ivresse Etrange et d'ample et furieuse volupte, Lui suggerant, dans les routes de la vitesse, Un sillage nouveau vers la vieille beaute. ï les rythmes fougueux de la nature entiere Et les sentir et les darder a travers soi! Vivre les mouvements repandus dans les bois, Le sol, les vents, la mer et les tonnerres; Vouloir qu'en son cerveau tressaille l'univers; Et pour en condenser les frissons clairs En ardentes images, Aimer, aimer surtout la foudre et les eclairs Dont les devorateurs de l'espace et de l'air Incendient leur passage! La Multiple Splendeur Le Monde Le monde est fait avec des astres et des hommes. La-haut, Depuis quels temps a tout jamais silencieux, La-haut, En quels jardins profonds et violents des eieux, La-haut, Autour de quels soleils, Pareils A des ruches de feux, Tourne, dans la splendeur de l'espace energique, L'essaim myriadaire et merveilleux Des planetes tragiques? Tel astre, on ne sait quand, leur a donne l'essor Ainsi qu'a des abeilles; Et les voici, volant parmi les fleurs, les treilles Et les jardins de l'ether d'or; Et voici que chacune, en sa ronde eternelle, Qui s'eclaire la nuit, qui se voile le jour, Va, s'eloigne, revient, mais gravite toujours, Autour de son etoile maternelle. ï ce tournoiement fou de lumieres ardentes! Ce grand silence blanc et cet ordre total Presidant a la course effrenee et grondante Des orbes d'or, autour de leur brasier natal; Et ce pullulement logique et monstrueux; Et ces feuilles de flamme, et ces buissons de feux Poussant toujours plus loin, grimpant toujours plus haut, Naissant, mourant, ou se multipliant eux-memes Et s'eclairant et se brulant entre eux, Ainsi que les joyaux D'un insondable etagement de diademes. La terre est un eclat de diamant tombe, On ne sait quand, jadis, des couronnes du ciel. Le froid torpide et lent, l'air humide et plombe Ont apaise son feu brusque et torrentiel; Les eaux des grandes mers ont blemi sa surface; Les monts ont souleve leur echine de glaces; Les bois ont tressailli, du sol jusques au faite, D'un rut ou d'un combat rouge et noueux de betes; Les desastres croulant des levants aux ponants Ont tour a tour fait ou defait les continents; La-bas ou le cyclone en ses coleres bout, Les caps se sont dresses contre l'ocean fou; L'effort universel des heurts, des chocs, des chutes, En sa folie enorme a peu a peu decru Et lentement, apres mille ans d'ombre et de lutte, L'homme, dans le miroir de l'univers, s'est apparu. Il fut le maitre Qui, tout a coup, Avec son torse droit, avec son front debout, S'affirmait tel - et s'isolait de ses ancetres. Et la terre, avec ses jours, avec ses nuits, Immensement, a l'infini, De l'est a l'ouest s'etendit devant lui; Et les premiers envols des premieres pensees Du fond d'une cervelle humaine Et souveraine Eut lieu sous le soleil. Les pensees! ï leurs essors fougueux, leurs flammes dispersees, Leur rouge acharnement ou leur accord vermeil! Comme la-haut les etoiles criblaient la nue, Elles s'eparpillaient dans la foule inconnue, Effleuraient chaque front comme d'une aile en feu, Visitaient la montagne ou traversaient le fleuve, Si bien que leur lueur universelle et neuve Se repandit partout sur les pays silencieux. Mais pour que s'etablit aussi une harmonie Au sein de leurs tumultes d'or, Comme la-haut toujours, comme la-haut encor, Pareils A des soleils, Apparurent et s'exalterent, Parmi les races de la terre, Les genies. Avec des coeurs de flamme et des levres de miel, Ceux-ci disaient, vraiment, le verbe essentiel, Et les songes epars dans la nuit angoissee Se rabattaient vers la ruche de leur pensee. Autour d'eux gravitaient les flux et les remous De la recherche ardente et des problemes fous; L'ombre fut attentive a leur brusque lumiere; Un tressaillement neuf parcourut la matiere; Les eaux, les bois, les monts se sentirent legers Sous les souffles marins, sous les vents bocagers; Les flots semblaient danser et s'envoler les branches, Les rocs vibraient sous les baisers de sources blanches, Tout se renouvelait jusqu'en ses profondeurs: Le vrai, le bien, l'amour, la beaute, la laideur. Des liens subtils formes d'ondes et d'etincelles Composaient le tissu d'une ame universelle, Et l'etendue ou se croisaient tous ces aimants Vecut enfin, d'apres la loi qui regne aux firmaments. Le monde est fait avec des astres et des hommes. Les Penseurs Autour de la terre obsedee Circule, au fond des nuits, au coeur des jours, Toujours, L'orage amoncele des montantes idees. Elles roulent, passent ou lentement s'agregent. D'abord on les croirait vagues comme les reves Qui s'envolent, des le matin; Mais, tout a coup, leurs masses, Par etages, se tassent Et s'affirment en des contours certains. Voici leur ample et magnifique architecture. Et les regards d'en bas qui les cherchent, le soir, Reconnaissent, en leur structure, Chaque arabesque d'or que projette l'espoir Vers les clartes futures. Villes au bord des mers, cites au pied des monts, Leur tumulte essore remplit vos horizons; Sur vos domes luisants et sur vos frontons sombres Vous les sentez immensement gronder dans l'ombre. Parfois quelque penseur au front battant, A coups d'eclairs et de genie, En note et en surprend pour quelque temps, En ses livres, les harmonies; Mais un afflux nouveau de lumieres plus nettes En modifie au ciel les larges silhouettes Qu'aux jours memes des plus proches aieux L'humanite mirait et gardait en ses yeux. ï l'immortelle ardeur des chercheurs et des sages, ï leurs taches, au long des siecles, poursuivies Pour imposer quand meme et la forme et la vie A cet amas flottant de merveilleux nuages, Pour en dompter et en regler l'enorme essor Et les pousser, sous les arceaux d'un clair systeme Dont le ferme dessin eclate en lignes d'or; Alors, Qu'en son ardeur a resoudre tous les problemes Chaque science s'attaque ou collabore, Immensement, a ce supreme effort. Voici: et c'est au coeur de pavillons en verre, Ou des tubes, des lentilles et des cornues Se recourbent en flores inconnues, Qu'on analyse, avidement, Poussiere a poussiere Et ferment par ferment, La matiere; Et c'est encor, Au bout d'un cap, au front d'un mont, Dans la vierge blancheur du gel hieratique, Qu'avec de lourds et purs cristaux profonds, On explore l'orgueil des cieux mathematiques Dont l'immensite d'or et de tenebres Se fixe en des algebres; Et c'est encor, En des salles funebres, Ou sont couches, sur des tables, les morts, Qu'avec des couteaux fins et des pinces cruelles, On mord Les arteres du coeur et les nerfs des cervelles Pour en scruter la vie ample et dedalienne; Et c'est enfin La-bas, au bord d'un lac, ici, pres d'un ravin, Un tel acharnement A delier la terre ancienne De l'etreinte innombrable et compacte du temps, Que ce qui fut la vie et la mort millenaires Et les faunes des eaux et les faunes des bois Et les hommes hurlant sous les premiers tonnerres, Tout apparait enorme et minime a la fois. Ainsi l'apre science et la recherche sure Tirant de l'univers les lois et les mesures Dedient aux penseurs purs leurs taches graduees; Et les grappes des faits et des preuves sans nombre Melent leurs feux precis aux feux melanges d'ombres Que les hauts constructeurs empruntent aux nuees. Descartes et Spinoza, Leibniz, Kant et Hegel, Vous, les cerveaux armes pour unoeuvre eternel, Dites, en quels etaux de logique profonde, Vous enserriez le monde Pour le ployer et le darder vers l'unite? Chacun de vous plantait la fixite Des merveilleux concepts et des fortes methodes, Dans les pourpres vapeurs que le reve echafaude; Tout y semblait prevu, magnifique et complet; Mais tout a coup vos plans l'un sur l'autre croulaient; Du fond des horizons, d'autres ombres roulaient Et de neuves clartes trouaient la brume epaisse, Comme autant de chemins, vers quelque autre synthese. L'oeuvre nouvelle a peine illuminait les yeux, Qu'une autre encor aussi puissante et aussi claire Melait sa feerie a la splendeur solaire; Toutes tremblaient dans le brouillard dore des cieux, Ramifiant jusqu'au zenith leurs harmonies, Puis s'en allaient en s'ecroulant, Tenebreuses et solitaires, A mesure qu'apparaissaient sur terre, De nouveaux abstracteurs et de recents genies. ï ces batailles d'or entre ces dieux humains! Et quel fervent eclair ils lancaient de leurs mains Quand leur vaste raison, heroique et profonde, Saccageait l'infini et recreait le monde! Ils tressaient le multiple et ses branches dardees En guirlande innombrable, autour de leur idee; Et le temps et l'espace, et la terre et les cieux, Tout se nouait, avec des liens judicieux, Depuis l'humble vallon jusqu'aux ardentes cimes, De bas en haut, a chaque etage des abimes Et qu'importe que leuroeuvre fait de nuages, Au vent toujours plus froid des siecles et des ages, Desagrege l'orgueil geant de ses sommets? Ne sont-ils point admirables a tout jamais, Eux qui fixaient a leurs fleches d'argent pour cibles Les plus hauts points des problemes inaccessibles, Et qui portaient en eux le grand reve entete D'emprisonner quand meme, un jour, l'eternite, Dans le gel blanc d'une immobile verite? La Louange du corps humain Dans la clarte pleniere et ses rayons soudains Penetrant jusqu'au coeur des ramures profondes, Femmes dont les corps nus brillent en ces jardins, Vous etes des fragments magnifiques du monde. Au long des buis ombreux et des hauts escaliers, Ouand vous passez, joyeusement entrelacees, Votre ronde simule un mouvement espalier Charge de fruits pendus a ses branches tressees. Si dans la paix et la grandeur des midis clairs L'une de vous, soudain, s'arrete et plus ne bouge, Elle apparait debout comme un thyrse de chair Ou flotterait le pampre en feu de ses crins rouges. Lasses, quand vous dormez dans la douce chaleur, Votre groupe est semblable a des barques remplies D'une large moisson de soleil et de fleurs Qu'assemblerait l'etang sur ses berges palies. Et dans vos gestes blancs, sous les grands arbres verts, Et dans vos jeux noues, sous des grappes de roses, Coulent le rythme epars dans l'immense univers Et la seve tranquille et puissante des choses. Vos os minces et durs sont de blancs mineraux Solidement dresses en noble architecture; L'ame de flamme et d'or qui brule en vos cerveaux N'est qu'un aspect complexe et fin de la nature. Il est vous-meme, avec son calme et sa douceur, Le beau jardin qui vous prete ses abris d'ombre; Et le rosier des purs etes est votre coeur, Et vos levres de feu sont ses roses sans nombre. Magnifiez-vous donc et comprenez-vous mieux! Si vous voulez savoir ou la clarte reside, Croyez que l'or vibrant et les astres des cieux Songent, sous votre front, avec leurs feux lucides. Tout est similitude, image, attrait, lien; Ainsi que les joyaux d'un bougeant, diademe, Tout se penetre et se mire, o femmes, si bien Qu'en vous et hors de vous, tout est vous-memes. Les Reves ï ces iles au bout de l'univers perdues, Et leurs villes, leurs bois, leurs plaines et leurs plages Que les mirages Projettent tout a coup jusqu'aux nuages Et retiennent, avec quels fils d'argent, Avec quels noeuds en or bougeant, Aux clous des astres suspendues! Mon coeur et mon esprit en ont reve souvent. Mon coeur disait: " Sur leurs forets, le vent Passe plus doux qu'en aucun lieu du monde; L'ombre y est tendre, ample, profonde, Et se parfume, avant d'entrer dans la maison, Au toucher clair des floraisons Dont les seuils s'environnent. La lumiere que jette a la mer le soleil S'y brise, ainsi qu'une couronne Dont chaque flot emporte un diamant vermeil. Aucun ongle de bruit n'y griffe le silence; Sans alourdir le temps, les heures s'y balancent, De l'aube au soir, ainsi que lianes en fleur, Autour des arbres bleus dans la molle chaleur; L'unanime sommeil des bois gagne les plaines; La brise passe, avec ses doigts fleurant le miel; Les lignes d'ambre et d'or des montagnes lointaines Dans le matin leger, tremblent au fond du ciel." Et mon esprit disait: " Les plus beaux paysages Sont heureux d'abriter, sous leurs roses, les sages. L'homme desire en vain etre celui Oui pousse une lumiere au-dela de sa nuit Et s'evade de la blanche prison Oue lui font les rayons de sa propre raison. Tout est mirage: espace, effets, temps, causes. L'esprit humain, depuis qu'il est lui-meme, impose Au tumulte total de l'enorme nature Sa fixe et maigre et personnelle architecture. Il s'avance, s'egare et se perd dans l'abstrait. Les clous des verites ne s'arrachent jamais, Malgre l'acharnement des ongles et des mains, D'entre les joints soudes d'une cloison d'airain. Nous ne voyons, nous ne jugeons que l'apparence. Qui raisonne, complique un peu son ignorance. L'ample realite se noue aux rets des songes Et le bonheur est fait avec tous les mensonges". Mon coeur et mon esprit parlaient ainsi, Un soir d'effort lasse et de morne souci, Quand le soleil n'etait plus guere Qu'une pauvre et vieillotte lumiere Errante aux bords de la terre. Mais tout mon etre ardent, qui brusquement puisait Une force rugueuse, apre et soudaine, Dans le rouge tresor de sa valeur humaine, Leur repondait: "Je sens courir en moi une ivresse vivace. J'ai la tete trop haute et le front trop tenace, Pour accepter la paix et le calme mineurs D'un doute raisonne et d'un savant bonheur, En tels pays, la-bas, aux confins d'or du monde. Je veux la lutte avide et sa fievre feconde, Dans les chemins ou largement me fait accueil L'apre existence, avec sa rage et son orgueil. L'instinct me rive au front assez de certitude. Que l'esprit pense ou non avec exactitude, La force humaine, en son torrent large et grondeur, Mele le faux au vrai, sous un flot de splendeurs. Homme, tout affronter vaut mieux que tout comprendre; La vie est a monter, et non pas a descendre; Elle est un escalier garde par des flambeaux; Et les affres, les pleurs, les crimes, les fleaux, Et les espoirs, les triomphes, les cris, les fetes, Grappes de fer et d'or dont ses rampes sont faites, S'y nouent, violemment, en une apre beaute. Et qu'importe souffrir, si c'est pour s'exalter, Jusque dans la douleur, la crainte et le martyre, Et savoir seul combien on s'aime et on s'admire!" La Conquete Le monde est trepidant de trains et de navires. De l'est a l'ouest, du sud au nord, Stridents et violents, Ils vont et fuient; Et leurs signaux et leurs sifflets dechirent L'aube, le jour, le soir, la nuit; Et leur fumee enorme et transversale Barre les cites colossales; Et la plaine et la greve, et les flots et les cieux, Et le tonnerre sourd de leurs roulants essieux, Et le bruit rauque et haletant de leurs chaudieres Font tressaillir, a coups tumultueux de gongs, Ici la-bas, partout, jusqu'en son coeur profond, La terre. Et le labeur des bras et l'effort des cerveaux Et le travail des mains et le vol des pensees, S'enchevetrent autour des merveilleux reseaux Que dessine l'elan des trains et des vaisseaux, A travers l'etendue immense et angoissee. Et des villes de flamme et d'ombre, a l'horizon, Et des gares de verre et de fonte se levent, Et de grands ports batis pour la lutte ou le reve Arrondissent leur mole et soulevent leurs ponts; Et des phares dont les lueurs brusquement tournent Illuminent la nuit et rament sur la mer; Et c'est ici Marseille, Hambourg, Glasgow, Anvers, Et c'est la-bas Bombay, Syngapoure et Melbourne. ï ces navires clairs et ces convois geants Charges de peaux, de bois, de fruits, d'ambre ou de cuivre A travers les pays du simoun ou du givre, A travers le sauvage ou torpide ocean! ï ces forets a fond de cale, o ces carrieres Que transporte le dos ploye des lourds wagons Et ces marbres dores plus beaux que des lumieres Et ces mineraux froids plus clairs que des poisons, Amas bariole de depouilles massives Venu du Cap, de Sakhaline ou de Ceylan, Autour de quoi s'agite en rages convulsives Tout le combat de l'or torride et virulent! ï l'or! sang de la force implacable et moderne; L'or merveilleux, l'or effarant, l'or criminel, L'or des trones, l'or des ghettos, l'or des autels; L'or souterrain dont les banques sont les cavernes Et qui reve, en leurs flancs, avant de s'en aller, Sur la mer qu'il traverse ou sur la terre qu'il foule, Nourrir ou affamer, grandir ou ravaler, Le coeur myriadaire et rouge de la foule. Jadis l'or etait pur et se vouait aux dieux, Il etait l'ame en feu dont fermentait leur foudre. Quand leurs temples sortaient blancs et nus de la poudre, Il en ornait le faite et refletait les cieux. Aux temps des heros blonds, il se fit legendaire; Siegfried, tu vins a lui dans le couchant marin, Et tes yeux regardaient son bloc aureolaire Luire, comme un soleil, sous les flots verts du Rhin. Mais aujourd'hui l'or vit et respire dans l'homme, Il est sa foi tenace et son dur axiome, Il rode, eclair livide, autour de sa folie; Il entame son coeur, il pourrit sa bonte; Il met sa taie aux yeux divins de sa beaute; Quand la brusque debacle aux ruines s'allie, L'or bouleverse et ravage, telle la guerre, Le formidable espoir des cites de la terre. Pourtant c'est grace a lui Que l'homme, un jour, a redresse la tete Pour que l'immensite fut sa conquete. ï l'eblouissement a travers les esprits! Les metaux conducteurs de rapides paroles, Par-dessus les vents fous, par-dessus la mer folle, Semblent les nerfs tendus d'un immense cerveau. Tout parait obeir a quelque ordre nouveau. L'Europe est une forge ou se frappe l'idee. Races des vieux pays, forces desaccordees, Vous nouez vos destins epars, depuis le temps Que l'or met sous vos fronts le meme espoir battant; Havres et quais gluants de poix et de resines, Entrepots noirs, chantiers grincants, rouges usines, Votre travail geant serre en tous sens ses noeuds Depuis que l'or sur terre aveugle l'or des cieux. C'est l'or de vie ou l'or de mort, c'est l'or lyrique Oui contourne l'Asie et penetre l'Afrique; C'est l'or par-dela l'Ocean, l'or migrateur Rue des poles blancs vers les roux equateurs, L'or qui brille sur les gloires ou les desastres, L'or qui tourne, autour des siecles, comme les astres; L'or unanime et clair qui guide, obstinement, De mer en mer, de continent en continent, Ou que leur mat se dresse, ou que leur rail s'etire, Partout! l'essor dompte des trains et des navires. La Mort - Triste dame, mon ame, De quel sejour de deuil et d'or, Viens-tu, ce soir, parler encor, Triste dame, mon ame? - Je viens d'un palais de flambeaux Dont j'ai brise les portes closes; Je tiens, entre mes mains, les roses Qui fleuriront sur ton tombeau... - Douce dame, mon ame, Puisque la mort doit survenir, J'ai la crainte de l'avenir, Douce dame, mon ame. - Ce que tu crains, c'est ta beaute. La vie en haut, la mort sous terre Tressent les fleurs de leur mystere Au front de ton eternite. - Belle dame, mon ame, Le temps s'avance en tres grand deuil Avec sa faulx, jusqu'a mon seuil, Belle dame, mon ame. - Le temps n'est qu'un mensonge: il fuit; Seul existe celui qui cree, Emprisonnant l'ample duree Dans l'heure ou son genie ecrit. La Joie ï ces larges beaux jours dont les matins flamboient! La terre ardente et fiere est plus superbe encor Et la vie eveillee est d'un parfum si fort Que tout l'etre s'en grise et bondit vers la joie. Soyez remercies, mes yeux, D'etre restes si clairs, sous mon front deja vieux, Pour voir au loin bouger et vibrer la lumiere; Et vous, mes mains, de tressaillir dans le soleil; Et vous, mes doigts, de recueillir les fruits vermeils Pendus au long du mur, pres des roses tremieres. Soyez remercie, mon corps, D'etre ferme, rapide, et fremissant encor Au toucher des vents prompts ou des brises profondes; Et vous, mon torse droit et mes larges poumons, De respirer, au long des mers ou sur les monts, L'air radieux et vif qui baigne et mord les mondes. ï ces matins de fete et de calme beaute! Roses dont la rosee orne les purs visages, Oiseaux venus vers nous, comme de blancs presages, Jardins d'ombre massive ou de frele clarte! A l'heure ou l'ample ete tiedit les avenues, Je vous aime, chemins, par ou s'en est venue Celle qui recelait, entre ses mains, mon sort; Je vous aime, lointains marais et bois austeres Et sous mes pieds, jusqu'au trefonds, j'aime la terre, La terre fidele et sure ou reposent mes morts. J'existe en tout ce qui m'entoure et me penetre. Gazons epais, sentiers perdus, massifs de hetres, Eau lucide que nulle ombre ne vient ternir, Vous devenez moi-meme etant mon souvenir. Ma vie, infiniment, en vous tous se prolonge, je forme et je deviens tout ce qui fut mon songe; Dans le vaste horizon dont s'eblouit mon?il, Arbres frissonnants d'or, vous etes mon orgueil; Ma volonte, pareille aux noeuds dans votre ecorce, Aux jours de travail ferme et sain, durcit ma force. Quand vous frolez mon front, roses des jardins clairs, De vrais baisers de flamme illuminent ma chair; Tout m'est caresse, ardeur, beaute, frisson, folie, Je suis ivre du monde et je me multiplie Si fort en tout ce qui rayonne et m'eblouit Que mon coeur en defaille et se delivre en cris. ï ces bonds de ferveur, profonds, puissants et tendres Comme si quelque aile immense te soulevait, Si tu les as sentis vers l'infini te tendre, Homme, ne te plains pas, meme en des temps mauvais; Quel que soit le malheur qui te prenne pour proie, Dis-toi qu'un jour, en un supreme instant, Tu as goute quand meme, a coeur battant, La douce et formidable joie, Et que ton ame hallucinant tes yeux Jusqu'a meler ton etre aux forces unanimes, Pendant ce jour unique et cette heure sublime, T'a fait semblable aux dieux. Les Idees Sur les villes d'orgueil vers leurs destins dardees, Regnent, sans qu'on les voie, Plus haut que la douleur et plus haut que la joie, Vivifiantes, les idees. Aux premiers temps de force et de ferveur sereines, Des que l'esprit fut devenu flambeau, Elles se sont demelees Et envolees Du beau dedale d'or des cervelles humaines, Pour s'en venir briller et s'eployer, la-haut;