us, Madame, a pensj que la privation des rites et des cjrjmonies de votre religion peut vous ktre pjnible : il consent donc a ce que vous lisiez chaque jour l'ordinaire de votre messe , et voici un livre qui en contient le rituel. " A l'air dont Felton djposa ce livre sur la petite table pris de laquelle jtait Milady, au ton dont il prononza ces deux mots votre messe , au sourire djdaigneux dont il les accompagna, Milady leva la tkte et regarda plus attentivement l'officier. Alors, a cette coiffure sjvire, a ce costume d'une simplicitj exagjrje, a ce front poli comme le marbre, mais dur et impjnjtrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu'elle avait rencontrjs si souvent tant a la cour du roi Jacques qu'a celle du roi de France, oshch, malgrj le souvenir de la Saint-Barthjljmy, ils venaient parfois chercher un refuge. Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de gjnie seuls en rezoivent dans les grandes crises, dans les moments suprkmes qui doivent djcider de leur fortune ou de leur vie. Ces deux mots, votre messe , et un simple coup d'oeil jetj sur Felton, lui avaient en effet rjvjlj toute l'importance de la rjponse qu'elle allait faire. Mais avec cette rapiditj d'intelligence qui lui jtait particuliire, cette rjponse toute formulje se prjsenta sur ses livres : " Moi ! dit-elle avec un accent de djdain montj a l'unisson de celui qu'elle avait remarquj dans la voix du jeune officier, moi, Monsieur, ma messe ! Lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c'est un piige qu'il veut me tendre ! -- Et de quelle religion ktes-vous donc, Madame ? demanda Felton avec un jtonnement que, malgrj son empire sur lui-mkme, il ne put cacher entiirement. -- Je le dirai, s'jcria Milady avec une exaltation feinte, le jour oshch j'aurai assez souffert pour ma foi. " Le regard de Felton djcouvrit a Milady toute l'jtendue de l'espace qu'elle venait de s'ouvrir par cette seule parole. Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlj. " Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d'enthousiasme qu'elle savait familier aux puritains ; Eh bien, que mon Dieu me sauve ou que je pjrisse pour mon Dieu ! voila la rjponse que je vous prie de faire a Lord de Winter. Et quant a ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eyt dy ktre souillje par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-mkme, car sans doute vous ktes doublement complice de Lord de Winter, complice dans sa persjcution, complice dans son hjrjsie. " Felton ne rjpondit rien, prit le livre avec le mkme sentiment de rjpugnance qu'il avait djja manifestj et se retira pensif. Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir ; Milady avait eu le temps pendant toute la journje de se tracer son plan de conduite ; elle le rezut en femme qui a djja repris tous ses avantages. " Il paraot, dit le baron en s'asseyant dans un fauteuil en face de celui qu'occupait Milady et en jtendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraot que nous avons fait une petite apostasie ! -- Que voulez-vous dire, Monsieur ? -- Je veux dire que depuis la derniire fois que nous nous sommes vus, nous avons changj de religion ; auriez-vous jpousj un troisiime mari protestant, par hasard ? -- Expliquez-vous, Milord, reprit la prisonniire avec majestj, car je vous djclare que j'entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas. -- Alors, c'est que vous n'avez pas de religion du tout ; j'aime mieux cela, reprit en ricanant Lord de Winter. -- Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement Milady. -- Oh ! je vous avoue que cela m'est parfaitement jgal. -- Oh ! vous n'avoueriez pas cette indiffjrence religieuse, Milord, que vos djbauches et vos crimes en feraient foi. -- Hein ! vous parlez de djbauches, Madame Messaline, vous parlez de crimes, Lady Macbeth ! Ou j'ai mal entendu, ou vous ktes, pardieu, bien impudente. -- Vous parlez ainsi parce que vous savez qu'on nous jcoute, Monsieur, rjpondit froidement Milady, et que vous voulez intjresser vos gefliers et vos bourreaux contre moi. -- Mes gefliers ! mes bourreaux ! Ouais, Madame, vous le prenez sur un ton pojtique, et la comjdie d'hier tourne ce soir a la tragjdie. Au reste, dans huit jours vous serez oshch vous devez ktre et ma tvche sera achevje. -- Tvche infvme ! tvche impie ! reprit Milady avec l'exaltation de la victime qui provoque son juge. -- Je crois, ma parole d'honneur, dit de Winter en se levant, que la drflesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, Madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu ! c'est mon vin d'Espagne qui vous monte a la tkte, n'est-ce pas ? Mais, soyez tranquille, cette ivresse-la n'est pas dangereuse et n'aura pas de suites. " Et Lord de Winter se retira en jurant, ce qui a cette jpoque jtait une habitude toute cavaliire. Felton jtait en effet derriire la porte et n'avait pas perdu un mot de toute cette scine. Milady avait devinj juste. " Oui, va ! va ! dit-elle a son frire, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbjcile, que lorsqu'il ne sera plus temps de les jviter. " Le silence se rjtablit, deux heures s'jcoulirent ; on apporta le souper, et l'on trouva Milady occupje a faire tout haut ses priires, priires qu'elle avait apprises d'un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austires. Elle semblait en extase et ne parut pas mkme faire attention a ce qui se passait autour d'elle. Felton fit signe qu'on ne la djrangevt point, et lorsque tout fut en jtat il sortit sans bruit avec les soldats. Milady savait qu'elle pouvait ktre jpije, elle continua donc ses priires jusqu'a la fin, et il lui sembla que le soldat qui jtait de sentinelle a sa porte ne marchait plus du mkme pas et paraissait jcouter. Pour le moment, elle n'en voulait pas davantage, elle se releva, se mit a table, mangea peu et ne but que de l'eau. Une heure apris on vint enlever la table, mais Milady remarqua que cette fois Felton n'accompagnait point les soldats. Il craignait donc de la voir trop souvent. Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l'eyt djnoncje. Elle laissa encore s'jcouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux chvteau, comme on n'entendait que l'jternel murmure de la houle, cette respiration immense de l'ocjan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commenza le premier couplet de ce psaume alors en entiire faveur pris des puritains : Seigneur, si tu nous abandonnes, C'est pour voir si nous sommes forts. ; Mais ensuite c'est toi qui donnes De ta cjleste main la palme a nos efforts. Ces vers n'jtaient pas excellents, il s'en fallait mkme de beaucoup ; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient pas de pojsie. Tout en chantant, Milady jcoutait : le soldat de garde a sa porte s'jtait arrktj comme s'il eyt jtj changj en pierre. Milady put donc juger de l'effet qu'elle avait produit. Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables ; il lui sembla que les sons se rjpandaient au loin sous les voytes et allaient comme un charme magique adoucir le coeur de ses gefliers. Cependant il paraot que le soldat en sentinelle, zjlj catholique sans doute, secoua le charme, car a travers la porte : " Taisez-vous donc, Madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profundis , et si, outre l'agrjment d'ktre en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera a n'y point tenir. -- Silence ! dit alors une voix grave, que Milady reconnut pour celle de Felton ; de quoi vous mklez-vous, drfle ? Vous a-t-on ordonnj d'empkcher cette femme de chanter ? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la ; si elle fuit, tuez-la ; mais ne changez rien a la consigne. " Une expression de joie indicible illumina le visage de Milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d'un jclair, et, sans paraotre avoir entendu le dialogue dont elle n'avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant a sa voix tout le charme, toute l'jtendue et toute la sjduction que le djmon y avait mis : Pour tant de pleurs et de misire, Pour mon exil et pour mes fers, J'ai ma jeunesse, ma priire, Et Dieu, qui comptera les maux que j'ai soufferts. Cette voix, d'une jtendue inoupe et d'une passion sublime, donnait a la pojsie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltjs trouvaient rarement dans les chants de leurs frires, et qu'ils jtaient forcjs d'orner de toutes les ressources de leur imagination : Felton crut entendre chanter l'ange qui consolait les trois Hjbreux dans la fournaise. Milady continua : Mais le jour de la djlivrance Viendra pour nous, Dieu juste et fort ; Et s'il trompe notre espjrance, Il nous reste toujours le martyre et la mort. Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s'efforza de mettre toute son vme, acheva de porter le djsordre dans le coeur du jeune officier : il ouvrit brusquement la porte, et Milady le vit apparaotre pvle comme toujours, mais les yeux ardents et presque jgarjs. " Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix ? -- Pardon, Monsieur, dit Milady avec douceur, j'oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans doute offensj dans vos croyances ; mais c'jtait sans le vouloir, je vous jure ; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-ktre grande, mais qui certainement est involontaire. " Milady jtait si belle dans ce moment, l'extase religieuse dans laquelle elle semblait plongje donnait une telle expression a sa physionomie, que Felton, jbloui, crut voir l'ange que tout a l'heure il croyait seulement entendre. " Oui, oui, rjpondit-il, oui : vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce chvteau. " Et le pauvre insensj ne s'apercevait pas lui-mkme de l'incohjrence de ses discours, tandis que Milady plongeait son oeil de lynx au plus profond de son coeur. " Je me tairai, dit Milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu'elle put donner a sa voix, avec toute la rjsignation qu'elle put imprimer a son maintien. -- Non, non, Madame, dit Felton ; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout. " Et a ces mots, Felton, sentant qu'il ne pourrait pas conserver longtemps sa sjvjritj a l'jgard de la prisonniire, s'jlanza hors de son appartement. " Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat ; : ces chants bouleversent l'vme ; cependant on finit par s'y accoutumer : sa voix est si belle ! " CHAPITRE LIV. TROISIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Felton jtait venu ; mais il y avait encore un pas a faire : il fallait le retenir, ou plutft il fallait qu'il restvt tout seul ; et Milady ne voyait encore qu'obscurjment le moyen qui devait la conduire a ce rjsultat. Il fallait plus encore : il fallait le faire parler, afin de lui parler aussi : car, Milady le savait bien, sa plus grande sjduction jtait dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme des tons, depuis la parole humaine jusqu'au langage cjleste. Et cependant, malgrj toute cette sjduction, Milady pouvait jchouer, car Felton jtait prjvenu, et cela contre le moindre hasard. Dis lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses paroles, jusqu'au plus simple regard de ses yeux, jusqu'a son geste, jusqu'a sa respiration, qu'on pouvait interprjter comme un soupir. Enfin, elle jtudia tout, comme fait un habile comjdien a qui l'on vient de donner un rfle nouveau dans un emploi qu'il n'a pas l'habitude de tenir. Vis-a-vis de Lord de Winter sa conduite jtait plus facile ; aussi avait- elle jtj arrktje dis la veille. Rester muette et digne en sa prjsence, de temps en temps l'irriter par un djdain affectj, par un mot mjprisant, le pousser a des menaces et a des violences qui faisaient un contraste avec sa rjsignation a elle, tel jtait son projet. Felton verrait : peut-ktre ne dirait-il rien ; mais il verrait. Le matin, Felton vint comme d'habitude ; mais Milady le laissa prjsider a tous les apprkts du djjeuner sans lui adresser la parole. Aussi, au moment oshch il allait se retirer, eut-elle une lueur d'espoir ; car elle crut que c'jtait lui qui allait parler ; mais ses livres remuirent sans qu'aucun son sortot de sa bouche, et, faisant un effort sur lui-mkme, il renferma dans son coeur les paroles qui allaient s'jchapper de ses livres, et sortit. Vers midi, Lord de Winter entra. Il faisait une assez belle journje d'hiver, et un rayon de ce pvle soleil d'Angleterre qui jclaire, mais qui n'jchauffe pas, passait a travers les barreaux de la prison. Milady regardait par la fenktre, et fit semblant de ne pas entendre la porte qui s'ouvrait. " Ah ! ah ! dit Lord de Winter, apris avoir fait de la comjdie, apris avoir fait de la tragjdie, voila que nous faisons de la mjlancolie. " La prisonniire ne rjpondit pas. " Oui, oui, continua Lord de Winter, je comprends ; vous voudriez bien ktre en libertj sur ce rivage ; vous voudriez bien, sur un bon navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l'jmeraude ; vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l'ocjan, me dresser une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les combiner. Patience ! patience ! Dans quatre jours, le rivage vous sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le voudrez, car dans quatre jours l'Angleterre sera djbarrassje de vous. " Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel : " Seigneur ! Seigneur ! dit-elle avec une angjlique suavitj de geste et d'intonation, pardonnez a cet homme, comme je lui pardonne moi- mkme. -- Oui, prie, maudite, s'jcria le baron, ta priire est d'autant plus gjnjreuse que tu es, je te le jure, au pouvoir d'un homme qui ne pardonnera pas. " Et il sortit. Au moment oshch il sortait, un regard perzant glissa par la porte entrebvillje, et elle aperzut Felton qui se rangeait rapidement pour n'ktre pas vu d'elle. Alors elle se jeta a genoux et se mit a prier. " Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause je souffre, donnez-moi donc la force de souffrir. " La porte s'ouvrit doucement ; la belle suppliante fit semblant de n'avoir pas entendu, et d'une voix pleine de larmes, elle continua : " Dieu vengeur ! Dieu de bontj ! laisserez-vous s'accomplir les affreux projets de cet homme ! " Alors, seulement, elle feignit d'entendre le bruit des pas de Felton et, se relevant rapide comme la pensje, elle rougit comme si elle eyt jtj honteuse d'avoir jtj surprise a genoux. " Je n'aime point a djranger ceux qui prient, Madame, dit gravement Felton ; ne vous djrangez donc pas pour moi, je vous en conjure. -- Comment savez-vous que je priais, Monsieur ? dit Milady d'une voix suffoquje par les sanglots ; vous vous trompiez, Monsieur, je ne priais pas. -- Pensez-vous donc, Madame, rjpondit Felton de sa mkme voix grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit d'empkcher une crjature de se prosterner devant son Crjateur ? A Dieu ne plaise ! D'ailleurs le repentir sied bien aux coupables ; quelque crime qu'il ait commis, un coupable m'est sacrj aux pieds de Dieu. -- Coupable, moi ! dit Milady avec un sourire qui eyt djsarmj l'ange du jugement dernier. Coupable ! mon Dieu, tu sais si je le suis ! Dites que je suis condamnje, Monsieur, a la bonne heure ; mais vous le savez, Dieu qui aime les martyrs, permet que l'on condamne quelquefois les innocents. -- Fussiez-vous condamnje, fussiez-vous martyre, rjpondit Felton, raison de plus pour prier, et moi-mkme je vous aiderai de mes priires. -- Oh ! vous ktes un juste, vous, s'jcria Milady en se prjcipitant a ses pieds ; tenez, je n'y puis tenir plus longtemps, car je crains de manquer de force au moment oshch il me faudra soutenir la lutte et confesser ma foi ; jcoutez donc la supplication d'une femme au djsespoir. On vous abuse, Monsieur, mais il n'est pas question de cela, je ne vous demande qu'une grvce, et, si vous me l'accordez, je vous bjnirai dans ce monde et dans l'autre. -- Parlez au maotre, Madame, dit Felton ; je ne suis heureusement chargj, moi, ni de pardonner ni de punir, et c'est a plus haut que moi que Dieu a remis cette responsabilitj. -- A vous, non, a vous seul. Ecoutez-moi, plutft que de contribuer a ma perte, plutft que de contribuer a mon ignominie. -- Si vous avez mjritj cette honte, Madame, si vous avez encouru cette ignominie, il faut la subir en l'offrant a Dieu. -- Que dites-vous ? Oh ! vous ne me comprenez pas ! Quand je parle d'ignominie, vous croyez que je parle d'un chvtiment quelconque, de la prison ou de la mort ! Plyt au Ciel ! que m'importent, a moi, la mort ou la prison ! -- C'est moi qui ne vous comprends plus, Madame. -- Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, Monsieur, rjpondit la prisonniire avec un sourire de doute. -- Non, Madame, sur l'honneur d'un soldat, sur la foi d'un chrjtien ! -- Comment ! vous ignorez les desseins de Lord de Winter sur moi. -- Je les ignore. -- Impossible, vous son confident ! -- Je ne mens jamais, Madame. -- Oh ! il se cache trop peu cependant pour qu'on ne les devine pas. -- Je ne cherche a rien deviner, Madame ; j'attends qu'on me confie, et a part ce qu'il m'a dit devant vous, Lord de Winter ne m'a rien confij. -- Mais, s'jcria Milady avec un incroyable accent de vjritj, vous n'ktes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu'il me destine a une honte que tous les chvtiments de la terre ne sauraient jgaler en horreur ? -- Vous vous trompez, Madame, dit Felton en rougissant, Lord de Winter n'est pas capable d'un tel crime. " " Bon, dit Milady en elle-mkme, sans savoir ce que c'est, il appelle cela un crime ! " Puis tout haut : " L'ami de l'infvme est capable de tout. -- Qui appelez-vous l'infvme ? demanda Felton. -- Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes a qui un semblable nom puisse convenir ? -- Vous voulez parler de Georges Villiers ? dit Felton, dont les regards s'enflammirent. -- Que les papens, les gentils et les infidiles appellent duc de Buckingham, reprit Milady ; je n'aurais pas cru qu'il y aurait eu un Anglais dans toute l'Angleterre qui eyt eu besoin d'une si longue explication pour reconnaotre celui dont je voulais parler ! -- La main du Seigneur est jtendue sur lui, dit Felton, il n'jchappera pas au chvtiment qu'il mjrite. " Felton ne faisait qu'exprimer a l'jgard du duc le sentiment d'exjcration que tous les Anglais avaient vouj a celui que les catholiques eux- mkmes appelaient l'exacteur, le concussionnaire, le djbauchj, et que les puritains appelaient tout simplement Satan. " Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s'jcria Milady, quand je vous supplie d'envoyer a cet homme le chvtiment qui lui est dy, vous savez que ce n'est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la djlivrance de tout un peuple que j'implore. -- Le connaissez-vous donc ? " demanda Felton. " Enfin, il m'interroge " se dit en elle-mkme Milady au comble de la joie d'en ktre arrivje si vite a un si grand rjsultat. " Oh ! si je le connais ! oh, oui ! pour mon malheur, pour mon malheur jternel. " Et Milady se tordit les bras comme arrivje au paroxysme de la douleur. Felton sentit sans doute en lui-mkme que sa force l'abandonnait, et il fit quelques pas vers la porte ; la prisonniire, qui ne le perdait pas de vue, bondit a sa poursuite et l'arrkta. " Monsieur ! s'jcria-t-elle, soyez bon, soyez cljment, jcoutez ma priire : ce couteau que la fatale prudence du baron m'a enlevj, parce qu'il sait l'usage que j'en veux faire ; oh ! jcoutez-moi jusqu'au bout ! ce couteau, rendez-le-moi une minute seulement, par grvce, par pitij ! J'embrasse vos genoux ; voyez, vous fermerez la porte, ce n'est pas a vous que j'en veux : Dieu ! vous en vouloir, a vous, le seul ktre juste, bon et compatissant que j'aie rencontrj ! a vous, mon sauveur peut- ktre ! une minute, ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte ; rien qu'une minute, Monsieur Felton, et vous m'aurez sauvj l'honneur ! -- Vous tuer ! s'jcria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonniire ; vous tuer ! -- J'ai dit, Monsieur, murmura Milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissje sur le parquet, j'ai dit mon secret ! Il sait tout ! Mon Dieu, je suis perdue ! " Felton demeurait debout, immobile et indjcis. " Il doute encore, pensa Milady, je n'ai pas jtj assez vraie. " On entendit marcher dans le corridor ; Milady reconnut le pas de Lord de Winter. Felton le reconnut aussi et s'avanza vers la porte. Milady s'jlanza. " Oh ! pas un mot, dit-elle d'une voix concentrje, pas un mot de tout ce que je vous ai dit a cet homme, ou je suis perdue, et c'est vous, vous... " Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu'on n'entendot sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa belle main sur la bouche de Felton. Felton repoussa doucement Milady, qui alla tomber sur une chaise longue. Lord de Winter passa devant la porte sans s'arrkter, et l'on entendit le bruit des pas qui s'jloignaient. Felton, pvle comme la mort, resta quelques instants l'oreille tendue et jcoutant, puis quand le bruit se fut jteint tout a fait, il respira comme un homme qui sort d'un songe, et s'jlanza hors de l'appartement. " Ah ! dit Milady en jcoutant a son tour le bruit des pas de Felton, qui s'jloignaient dans la direction opposje a ceux de Lord de Winter, enfin tu es donc a moi ! " Puis son front se rembrunit. " S'il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau entre les mains, et il verra bien que tout ce grand djsespoir n'jtait qu'un jeu. " Elle alla se placer devant sa glace et se regarda, jamais elle n'avait jtj si belle. " Oh ! oui ! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas. " Le soir, Lord de Winter accompagna le souper. " Monsieur, lui dit Milady, votre prjsence est-elle un accessoire obligj de ma captivitj, et ne pourriez-vous pas m'jpargner ce surcroot de tortures que me causent vos visites ? -- Comment donc, chire soeur ! dit de Winter, ne m'avez-vous pas sentimentalement annoncj, de cette jolie bouche si cruelle pour moi aujourd'hui, que vous veniez en Angleterre a cette seule fin de me voir tout a votre aise, jouissance dont, me disiez-vous, vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout risquj pour cela : mal de mer, tempkte, captivitj ! Eh bien, me voila, soyez satisfaite ; d'ailleurs, cette fois ma visite a un motif. " Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlj ; jamais de sa vie, peut-ktre, cette femme, qui avait jprouvj tant d'jmotions puissantes et opposjes, n'avait senti battre son coeur si violemment. Elle jtait assise ; Lord de Winter prit un fauteuil, le tira a son cftj et s'assit aupris d'elle, puis prenant dans sa poche un papier qu'il djploya lentement : " Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espice de passeport que j'ai rjdigj moi-mkme et qui vous servira djsormais de numjro d'ordre dans la vie que je consens a vous laisser. " Puis ramenant ses yeux de Milady sur le papier, il lut : " Ordre de conduire a... " Le nom est en blanc, interrompit de Winter : si vous avez quelque prjfjrence, vous me l'indiquerez ; et pour peu que ce soit a un millier de lieues de Londres, il sera fait droit a votre requkte. Je reprends donc : " Ordre de conduire a... la nommje Charlotte Backson, fljtrie par la justice du royaume de France, mais libjrje apris chvtiment ; elle demeurera dans cette rjsidence, sans jamais s'en jcarter de plus de trois lieues. En cas de tentative d'jvasion, la peine de mort lui sera appliquje. Elle touchera cinq shillings par jour pour son logement et sa nourriture. " " Cet ordre ne me concerne pas, rjpondit froidement Milady, puisqu'un autre nom que le mien y est portj. -- Un nom ! Est-ce que vous en avez un ? -- J'ai celui de votre frire. -- Vous vous trompez, mon frire n'est que votre second mari, et le premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du nom de Charlotte Backson. Non ? ... Vous ne voulez pas ?... Vous gardez le silence ? C'est bien ! Vous serez jcrouje sous le nom de Charlotte Backson. " Milady demeura silencieuse ; seulement, cette fois ce n'jtait plus par affectation, mais par terreur : elle crut l'ordre prkt a ktre exjcutj ; elle pensa que Lord de Winter avait avancj son djpart ; elle crut qu'elle jtait condamnje a partir le soir mkme. Tout dans son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout a coup elle s'aperzut que l'ordre n'jtait revktu d'aucune signature. La joie qu'elle ressentit de cette djcouverte fut si grande, qu'elle ne put la cacher. " Oui, oui, dit Lord de Winter, qui s'aperzut de ce qui se passait en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites : tout n'est pas perdu, puisque cet acte n'est pas signj ; on me le montre pour m'effrayer, voila tout. Vous vous trompez : demain cet ordre sera envoyj a Lord Buckingham ; apris-demain il reviendra signj de sa main et revktu de son sceau, et vingt-quatre heures apris, c'est moi qui vous en rjponds, il recevra son commencement d'exjcution. Adieu, Madame, voila tout ce que j'avais a vous dire. -- Et moi je vous rjpondrai, Monsieur, que cet abus de pouvoir, que cet exil sous un nom supposj sont une infamie. -- Aimez-vous mieux ktre pendue sous votre vrai nom, Milady ? Vous le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l'abus que l'on fait du mariage ; expliquez-vous franchement : quoique mon nom ou plutft le nom de mon frire se trouve mklj dans tout cela, je risquerai le scandale d'un procis public pour ktre syr que du coup je serai djbarrassj de vous. " Milady ne rjpondit pas, mais devint pvle comme un cadavre. " Oh ! je vois que vous aimez mieux la pjrjgrination. A merveille, Madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages forment la jeunesse. Ma foi ! vous n'avez pas tort, apris tout, et la vie est bonne. C'est pour cela que je ne me soucie pas que vous me l'ftiez. Reste donc a rjgler l'affaire des cinq shillings ; je me montre un peu parcimonieux, n'est-ce pas ? cela tient a ce que je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D'ailleurs il vous restera toujours vos charmes pour les sjduire. Usez-en si votre jchec avec Felton ne vous a pas djgoytje des tentatives de ce genre. " " Felton n'a point parlj, se dit Milady a elle-mkme, rien n'est perdu alors. " " Et maintenant, Madame, a vous revoir. Demain je viendrai vous annoncer le djpart de mon messager. " Lord de Winter se leva, salua ironiquement Milady et sortit. Milady respira : elle avait encore quatre jours devant elle ; quatre jours lui suffiraient pour achever de sjduire Felton. Une idje terrible lui vint alors, c'est que Lord de Winter enverrait peut- ktre Felton lui-mkme pour faire signer l'ordre a Buckingham ; de cette fazon Felton lui jchappait, et pour que la prisonniire rjussot il fallait la magie d'une sjduction continue. Cependant, comme nous l'avons dit, une chose la rassurait : Felton n'avait pas parlj. Elle ne voulut point paraotre jmue par les menaces de Lord de Winter, elle se mit a table et mangea. Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit a genoux, et rjpjta tout haut ses priires. Comme la veille, le soldat cessa de marcher et s'arrkta pour l'jcouter. Bientft elle entendit des pas plus ljgers que ceux de la sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s'arrktaient devant sa porte. " C'est lui " , dit-elle. Et elle commenza le mkme chant religieux qui la veille avait si violemment exaltj Felton. Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eyt vibrj plus harmonieuse et plus djchirante que jamais, la porte resta close. Il parut bien a Milady, dans un des regards furtifs qu'elle lanzait sur le petit guichet, apercevoir a travers le grillage serrj les yeux ardents du jeune homme ; mais, que ce fyt une rjalitj ou une vision, cette fois il eut sur lui-mkme la puissance de ne pas entrer. Seulement, quelques instants apris qu'elle eut fini son chant religieux, Milady crut entendre un profond soupir ; puis les mkmes pas qu'elle avait entendus s'approcher s'jloignirent lentement et comme a regret. CHAPITRE LV. QUATRIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Le lendemain, lorsque Felton entra chez Milady, il la trouva debout, montje sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde tissje a l'aide de quelques mouchoirs de batiste djchirjs en laniires tressjes les unes avec les autres et attachjes bout a bout ; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, Milady sauta ljgirement a bas de son fauteuil, et essaya de cacher derriire elle cette corde improvisje, qu'elle tenait a la main. Le jeune homme jtait plus pvle encore que d'habitude, et ses yeux rougis par l'insomnie indiquaient qu'il avait passj une nuit fijvreuse. Cependant son front jtait armj d'une sjrjnitj plus austire que jamais. Il s'avanza lentement vers Milady, qui s'jtait assise, et prenant un bout de la tresse meurtriire que par mjgarde ou a dessein peut-ktre elle avait laissje passer : " Qu'est-ce que cela, Madame ? demanda-t-il froidement. -- Cela, rien, dit Milady en souriant avec cette expression douloureuse qu'elle savait si bien donner a son sourire, l'ennui est l'ennemi mortel des prisonniers, je m'ennuyais et je me suis amusje a tresser cette corde. " Felton porta les yeux vers le point du mur de l'appartement devant lequel il avait trouvj Milady debout sur le fauteuil oshch elle jtait assise maintenant, et au-dessus de sa tkte il aperzut un crampon dorj, scellj dans le mur, et qui servait a accrocher soit des hardes, soit des armes. Il tressaillit, et la prisonniire vit ce tressaillement ; car, quoiqu'elle eyt les yeux baissjs, rien ne lui jchappait. " Et que faisiez-vous, debout sur ce fauteuil ? demanda-t-il. -- Que vous importe ? rjpondit Milady. -- Mais, reprit Felton, je djsire le savoir. -- Ne m'interrogez pas, dit la prisonniire, vous savez bien qu'a nous autres, vjritables chrjtiens, il nous est djfendu de mentir. -- Eh bien, dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez, ou plutft ce que vous alliez faire ; vous alliez achever l'oeuvre fatale que vous nourrissez dans votre esprit : songez-y, Madame, si notre Dieu djfend le mensonge, il djfend bien plus sjvirement encore le suicide. -- Quand Dieu voit une de ses crjatures persjcutje injustement, placje entre le suicide et le djshonneur, croyez-moi, Monsieur, rjpondit Milady d'un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne le suicide : car, alors, le suicide c'est le martyre. -- Vous en dites trop ou trop peu ; parlez, Madame, au nom du Ciel, expliquez-vous. -- Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de fables ; que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les djnoncer a mon persjcuteur : non, Monsieur ; d'ailleurs, que vous importe la vie ou la mort d'une malheureuse condamnje ? vous ne rjpondez que de mon corps, n'est-ce pas ? et pourvu que vous reprjsentiez un cadavre, qu'il soit reconnu pour le mien, on ne vous en demandera pas davantage, et peut-ktre, mkme, aurez-vous double rjcompense. -- Moi, Madame, moi ! s'jcria Felton, supposer que j'accepterais jamais le prix de votre vie ; oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites. -- Laissez-moi faire, Felton, laissez-moi faire, dit Milady en s'exaltant, tout soldat doit ktre ambitieux, n'est-ce pas ? Vous ktes lieutenant, Eh bien, vous suivrez mon convoi avec le grade de capitaine. -- Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton jbranlj, pour que vous me chargiez d'une pareille responsabilitj devant les hommes et devant Dieu ? Dans quelques jours vous allez ktre loin d'ici, Madame, votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec un soupir, alors vous en ferez ce que vous voudrez. -- Ainsi, s'jcria Milady comme si elle ne pouvait rjsister a une sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l'on appelle un juste, vous ne demandez qu'une chose : c'est de n'ktre point inculpj, inquijtj pour ma mort ! -- Je dois veiller sur votre vie, Madame, et j'y veillerai. -- Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez ? cruelle djja si j'jtais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le Seigneur lui donnera-t-il, si je suis innocente ? -- Je suis soldat, Madame, et j'accomplis les ordres que j'ai rezus. -- Croyez-vous qu'au jour du jugement dernier Dieu sjparera les bourreaux aveugles des juges iniques ? Vous ne voulez pas que je tue mon corps, et vous vous faites l'agent de celui qui veut tuer mon vme ! -- Mais, je vous le rjpite, reprit Felton jbranlj, aucun danger ne vous menace, et je rjponds de Lord de Winter comme de moi-mkme. -- Insensj ! s'jcria Milady, pauvre insensj, qui ose rjpondre d'un autre homme quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu hjsitent a rjpondre d'eux-mkmes, et qui se range du parti le plus fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus malheureuse ! -- Impossible, Madame, impossible, murmura Felton, qui sentait au fond du coeur la justesse de cet argument : prisonniire, vous ne recouvrerez pas par moi la libertj, vivante, vous ne perdrez pas par moi la vie. -- Oui, s'jcria Milady, mais je perdrai ce qui m'est bien plus cher que la vie, je perdrai l'honneur, Felton ; et c'est vous, vous que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma honte et de mon infamie. " Cette fois Felton, tout impassible qu'il jtait ou qu'il faisait semblant d'ktre, ne put rjsister a l'influence secrite qui s'jtait djja emparje de lui : voir cette femme si belle, blanche comme la plus candide vision, la voir tour a tour jplorje et menazante, subir a la fois l'ascendant de la douleur et de la beautj, c'jtait trop pour un visionnaire, c'jtait trop pour un cerveau minj par les rkves ardents de la foi extatique, c'jtait trop pour un coeur corrodj a la fois par l'amour du Ciel qui bryle, par la haine des hommes qui djvore. Milady vit le trouble, elle sentait par intuition la flamme des passions opposjes qui brylaient avec le sang dans les veines du jeune fanatique ; et, pareille a un gjnjral habile qui, voyant l'ennemi prkt a reculer, marche sur lui en poussant un cri de victoire, elle se leva, belle comme une prktresse antique, inspirje comme une vierge chrjtienne, et, le bras jtendu, le col djcouvert, les cheveux jpars, retenant d'une main sa robe pudiquement ramenje sur sa poitrine, le regard illuminj de ce feu qui avait djja portj le djsordre dans les sens du jeune puritain, elle marcha vers lui, s'jcriant sur un air vjhjment, de sa voix si douce, a laquelle, dans l'occasion, elle donnait un accent terrible : Livre a Baal sa victime, Jette aux lions le martyr : Dieu te fera repentir !... Je crie a lui de l'abome. . Felton s'arrkta sous cette jtrange apostrophe, et comme pjtrifij. " Qui ktes-vous, qui ktes-vous ? s'jcria-t-il en joignant les mains ; ktes- vous une envoyje de Dieu, ktes-vous un ministre des enfers, ktes-vous ange ou djmon, vous appelez-vous Eloa ou Astartj ? -- Ne m'as-tu pas reconnue, Felton ? Je ne suis ni un ange, ni un djmon, je suis une fille de la terre, je suis une soeur de ta croyance, voila tout. -- Oui ! oui ! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois. -- Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de Bjlial qu'on appelle Lord de Winter ! Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l'ennemi de l'Angleterre, de l'ennemi de Dieu ? Tu crois, et cependant tu me livres a celui qui remplit et souille le monde de ses hjrjsies et de ses djbauches, a cet infvme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l'Antjchrist. -- Moi, vous livrer a Buckingham moi! que dites-vous la ? -- Ils ont des yeux, s'jcria Milady, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n'entendront point. -- Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute ; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rkves ; oui, je reconnais les traits de l'ange qui m'apparaot chaque nuit, criant a mon vme qui ne peut dormir : " Frappe, sauve l'Angleterre, Sauve-toi, car tu mourras sans avoir djsarmj Dieu ! " Parlez, parlez ! s'jcria Felton, je puis vous comprendre a prjsent. " Un jclair de joie terrible, mais rapide comme la pensje, jaillit des yeux de Milady. Si fugitive qu'eyt jtj cette lueur homicide, Felton la vit et tressaillit comme si cette lueur eyt jclairj les abomes du coeur de cette femme. Felton se rappela tout a coup les avertissements de Lord de Winter, les sjductions de Milady, ses premiires tentatives lors de son arrivje ; il recula d'un pas et baissa la tkte, mais sans cesser de la regarder : comme si, fascinj par cette jtrange crjature, ses yeux ne pouvaient se djtacher de ses yeux. Milady n'jtait point femme a se mjprendre au sens de cette hjsitation. Sous ses jmotions apparentes, son sang-froid glacj ne l'abandonnait point. Avant que Felton lui eyt rjpondu et qu'elle fyt forcje de reprendre cette conversation si difficile a soutenir sur le mkme accent d'exaltation, elle laissa retomber ses mains, et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur l'enthousiasme de l'inspirje : " Mais, non, dit-elle, ce n'est pas a moi d'ktre la Judith qui djlivrera Bjthulie de cet Holopherne. Le glaive de l'Eternel est trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le djshonneur par la mort, laissez- moi me rjfugier dans le martyre. Je ne vous demande ni la libertj, comme ferait une coupable, ni la vengeance, comme ferait une papenne. Laissez-moi mourir, voila tout. Je vous supplie, je vous implore a genoux ; laissez-moi mourir, et mon dernier soupir sera une bjnjdiction pour mon sauveur. " A cette voix douce et suppliante, a ce regard timide et abattu, Felton se rapprocha. Peu a peu l'enchanteresse avait revktu cette parure magique qu'elle reprenait et quittait a volontj, c'est-a-dire la beautj, la douceur, les larmes et surtout l'irrjsistible attrait de la voluptj mystique, la plus djvorante des voluptjs. " Hjlas ! dit Felton, je ne puis qu'une chose, vous plaindre si vous me prouvez que vous ktes une victime ! Mais Lord de Winter a de cruels griefs contre vous. Vous ktes chrjtienne, vous ktes ma soeur en religion ; je me sens entraonj vers vous, moi qui n'ai aimj que mon bienfaiteur, moi qui n'ai trouvj dans la vie que des traotres et des impies. Mais vous, Madame, vous ktes si belle en rjalitj, vous si pure en apparence, pour que Lord de Winter vous poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquitjs ? -- Ils ont des yeux, rjpjta Milady avec un accent d'indicible douleur, et ils ne verront pas ; ils ont